Symbole d’un idéal partagé entre deux peuples, la Statue de la Liberté fête ses 140 ans. Derrière ce monument mondialement connu se cache une épopée franco-américaine mêlant utopie politique, ambition artistique et défis techniques.
L’image de la Liberté éclairant le monde est aujourd’hui familière à des millions de visiteurs, touristes et rêveurs. Mais il y a 140 ans, le 4 juillet 1884, la statue de la Liberté, haute de près de 50 mètres, achevait sa construction… à Paris. Encore démontée, sans socle et sans certitude de traverser un jour l’Atlantique, elle symbolisait pourtant déjà une promesse : celle de la liberté partagée entre la France et les États-Unis.
Tout commence en 1865. Les États-Unis sortent meurtris de la guerre de Sécession. Édouard de Laboulaye, intellectuel et républicain convaincu, célèbre la victoire de l’Union et veut immortaliser la fraternité entre les deux nations. Son idée ? Offrir un monument aux Américains. Il en parle à son ami Auguste Bartholdi, sculpteur ambitieux, qui voit dans cette commande monumentale un défi à la mesure de son génie.
Mais l’histoire de la statue commence bien avant, lors d’un voyage de Bartholdi en Égypte. Séduit par les paysages orientaux et les grands projets du canal de Suez, il imagine une femme gigantesque brandissant une torche : une œuvre refusée par le khédive d’Égypte mais qui plantera la graine de la future « Liberté ».
Le modèle de la statue reste longtemps un mystère. En 2013, l’historienne Nathalie Salmon identifie une muse possible : Sarah Coblenzer, une femme aux traits puissants et à la stature imposante, épouse d’un ami proche de Bartholdi. « Ce fut un coup de foudre esthétique », dit-elle. Qu’elle ait été le visage ou l’inspiration, Sarah incarne cette Liberté féminine, fière et éclairante.
Prévue pour 1876, pour le centenaire de l’indépendance américaine, la statue accumule les retards. La guerre franco-prussienne, le manque de fonds, la complexité technique : tout freine le projet. Pourtant, dans l’atelier parisien de Gaget-Gauthier, plus de 600 ouvriers s’activent. Les fonds sont récoltés grâce à des banquets, des spectacles, des campagnes de presse… y compris outre-Atlantique, où le célèbre Joseph Pulitzer mobilise les lecteurs du New York World.
Mais la France n’offre que la statue : aux États-Unis revient la charge du socle. Un cadeau qui a failli ne jamais être accepté, faute de moyens.
En 1884, la Liberté est enfin prête. Dressée au-dessus des toits parisiens, elle attire les foules. Plus haute structure de la capitale, elle fait sensation. L’année suivante, elle est démontée, chargée sur un navire, puis réassemblée à New York, sur Bedloe’s Island (future Liberty Island). Le piédestal terminé, l’inauguration a lieu en octobre 1886… dans une cérémonie d’où les femmes seront exclues, au nom de la bienséance.