La capitale économique ivoirienne entame un grand chantier de transformation symbolique : plusieurs axes routiers autrefois nommés en hommage à des figures françaises de l’époque coloniale sont en cours de débaptisation. L’objectif affiché : moderniser le système de dénomination des voies et réancrer les noms de rues dans l’histoire et la culture ivoiriennes.
« Je ne connais pas Giscard d’Estaing. Je ne sais pas qui il était ! », s’exclame Franck Hervé Mansou, 31 ans, habitant d’Abidjan. Comme lui, de nombreux jeunes se réjouissent de voir disparaître des plaques jugées déconnectées de la réalité ivoirienne. Ainsi, le célèbre boulevard VGE (Valéry Giscard d’Estaing), qui reliait le centre-ville à l’aéroport, porte désormais le nom de Félix Houphouët-Boigny, père de l’indépendance ivoirienne.
Contrairement à d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, comme le Mali ou le Burkina Faso, où des gouvernements militaires ont opté pour une rupture radicale avec la France, la Côte d’Ivoire adopte une approche plus pragmatique. « Nous modernisons notre système, ce n’est pas une décision idéologique », affirme Alphonse N’Guessan, responsable du projet au ministère de la Construction.
Les nouvelles plaques, aux couleurs orange et verte du drapeau national, reflètent cette volonté de réappropriation. D’ici à 2030, une quinzaine de villes devraient emboîter le pas à Abidjan. Sur les quelque 15.000 voies de la ville, seules 600 avaient un nom officiel. L’opération permet donc également de baptiser de nombreuses rues pour la première fois, souvent en concertation avec des acteurs locaux.
Parmi les changements notables, le boulevard de France devient celui de Marie-Thérèse Houphouët-Boigny, première Première dame du pays. Le boulevard de Marseille, lui, est renommé en l’honneur de Philippe Grégoire Yacé, ancien président de l’Assemblée nationale.
« Les voies de Côte d’Ivoire doivent porter les noms des révolutionnaires ivoiriens, des politiciens ivoiriens. Là, dans l’avenir, on peut expliquer à nos enfants qui est qui », explique Franck Mansou.
Pour l’urbaniste Wayiribé Ismaïl Ouattara, ces changements sont aussi un moyen de renforcer l’identité urbaine : « Il est important que les Africains puissent s’identifier au développement de leur ville. » Et cela vaut particulièrement pour une population dont 75 % a moins de 35 ans.
Si la tendance est à l’africanisation des noms de rue, le gouvernement assure ne pas vouloir effacer la mémoire collective. Des quartiers comme Treichville ou Bingerville, dont les noms rappellent des figures coloniales, conservent pour l’instant leur appellation.
Pour Ouattara, il s’agit d’un équilibre à trouver : « Passer devant le nom d’un gouverneur colonial ne créera pas le même ressenti pour un jeune d’aujourd’hui que pour quelqu’un qui a connu la colonisation. »