L’article 123 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), souvent surnommé le « verrou monétaire », fait l’objet de critiques croissantes dans les milieux financiers. Dernière en date : la banque américaine J.P. Morgan, qui s’interroge dans une note confidentielle sur la pertinence de cette disposition dans le contexte économique post-Covid et des transitions écologiques à financer.
Qu’interdit cet article ?
L’article 123 TFUE interdit à la Banque centrale européenne (BCE) et aux banques centrales nationales de financer directement les États membres, c’est-à-dire d’acheter leur dette sur le marché primaire. Cela a pour objectif d’éviter des dérives inflationnistes, comme celles connues dans certains pays au XXe siècle.
En clair, un pays européen ne peut pas demander à sa banque centrale de “créer de la monnaie” pour financer son déficit. Il doit passer par les marchés financiers, ce qui signifie s’endetter à des taux fixés par les investisseurs.
La position de J.P. Morgan
Dans un document interne datant de 2024, des analystes de J.P. Morgan suggèrent que cette règle “n’est plus adaptée aux exigences du monde moderne”, marqué par :
Des chocs multiples (pandémie, guerre en Ukraine, inflation),
Des besoins massifs de financement pour le climat, la transition énergétique, et les infrastructures,
Une dette publique qui explose, mais avec des taux qui restent artificiellement bas.
J.P. Morgan y voit une rigidité excessive et propose une révision encadrée de l’article 123, permettant des interventions monétaires ciblées et exceptionnelles en cas de crise majeure.
Une remise en cause du dogme européen ?
Ce positionnement rejoint les critiques anciennes formulées par des économistes hétérodoxes, comme ceux du courant post-keynésien. Ils dénoncent depuis des années l’interdiction faite aux banques centrales de soutenir directement l’investissement public, même dans des périodes où la dépense publique est essentielle.
La BCE, quant à elle, a contourné cette interdiction en lançant des programmes de rachats massifs de dettes sur le marché secondaire (comme le PEPP pendant le Covid), mais toujours dans les limites imposées par l’article 123.
Et après ?
Même si aucune révision de l’article 123 n’est à l’agenda officiel de l’UE, cette prise de position d’un poids lourd de la finance internationale alimente les débats. Faut-il libérer les banques centrales de ce carcan pour permettre une politique monétaire plus “souveraine” ? Ou au contraire, préserver cette règle pour éviter le retour de l’inflation et la fuite en avant des déficits publics ?
Le débat est relancé.